Parole citoyenne # 5

Raviver la mémoire paysanne

L’an dernier pour avoir osé évoquer un sujet d’actualité dans cette newsletter, nous avions reçu un mot « gentil » en retour, nous demandant de faire ce que nous savions faire de mieux, à savoir continuer nos petites cuisines associatives internes et ne pas se mêler des sujets importants.

N’en déplaise aux esprits chagrins, il nous est difficile de ne pas évoquer l’actualité agricole de ces dernières semaines, tant nous avons lié nos « petites cuisines internes associatives » et nos valeurs à l’affirmation d’une ruralité moderne ouverte sur les enjeux d’avenir et interrogeant sans cesse la qualité de la relation que nous entretenons avec nos milieux de vie censés nous nourrir, mais aussi nous protéger et nous divertir.

Aussi, s’il est facile de soutenir les agriculteurs dans leur désir de vivre correctement de leur métier, cela ne signifie pas pour autant un soutien inconditionnel à toutes les agricultures. En fait cette manifestation de mécontentement, plus que l’expression d’une crise agricole, semble révélatrice d’un malaise bien plus profond du monde rural dans le contexte d’une crise sociétale.

Les dissonances que révèle cet épisode sont d’ailleurs éloquents:

  • dissonance entre les habitudes des consommateurs qui fréquentent massivement les rayons discounts des supermarchés tout en soutenant les agriculteurs.
  • dissonance chez nos représentants politiques qui tendent une main secourable envers le monde agricole tout en tenant de l’autre main le stylo qui signe des accords internationaux sacrifiant l’agriculture au profit de secteurs plus juteux en terme de perspectives économiques.
  • dissonance aussi entre des revendications sociales qui ne se valent pas au regard des autorités selon qu’elles se font avec des engins qui rivalisent avec des blindés ou à « pieds et mains nus ». Les réactions et commentaires qui accompagnent « la violence » des manifestants contre les mega-bassines, la retraite ou les fins de mois difficile des classes moyennes est sans commune mesure avec la condescendance de ceux qui relatent les tombereaux de merdes et de lisiers déversés sur le toit des supermarchés en activité ou des administrations.
  • dissonance aussi entre le désarroi d’un monde agricole emporté dans le tourbillon d’un gigantisme où tout est superlatif pour désigner les surfaces d’exploitation, la taille des élevages, la taille des engins, l’ampleur des dettes financières ou environnementales générées par ce modèle et celui d’un monde paysan en résurgence qui revendique non pas un retour en arrière, mais le droit de retrouver du sens, une taille humaine, un lien avec la terre et le sentiment de nourrir: nourrir les hommes et les femmes, mais aussi nourrir la terre, nourrir et prendre soin du milieu où chacun vit.

 

Toutes ces dissonances traduisent le malaise profond. On sent dans nos campagnes la persistance d’un attachement à l’idéal d’une agriculture moderne héritée des trente glorieuses qui entretient la foi en l’ascension sociale radieuse à travers une croissance économique sans fin qui n’a d’égale que les efforts consentis pour y participer. N’est-il pas temps d’actualiser ce regard? Plus les territoires ruraux et leurs habitants ont renié leur passé paysan, plus ils ont cru dans les promesses de la modernité, plus il semble difficile aujourd’hui de se détacher de cette course en avant alimentée par une vision négative sur leur passé paysan.

Ce blocage transparaît par le refus d’essayer de recycler des mémoires paysannes, auxquelles, par acculturation et par honte, les populations rurales modernisées n’accordent pas de valeur. Recycler le passé, c’est la peur du retour en arrière, à la bougie, aux toilettes sèches au fond du jardin, la peur du retour à la pauvreté. Ce sentiment agit comme un rempart, contre toute idée alter-moderne sur laquelle est collée immédiatement l’étiquette caricaturale de bobos, d’écolos ou de zadistes. On peut se demander dans quelle mesure cela crée les conditions de freinage des nécessaires transitions sur nos territoires.

Dans les campagnes, il y a comme un héritage obligatoire qui nécessite d’incarner mordicus la modernité, la vision prométhéenne, les grands travaux, les aménagements propres et fonctionnels.

Et si l’idée n’était pas de faire revivre le passé, mais de mobiliser ce qui reste de vivant et d’heureux des cultures antérieures afin d’enrichir notre vision pour choisir notre futur ? Les mémoires paysannes ne sont pas la seule propriété des actuels ruraux, elles sont le commun culturel de tout le monde. Cette mémoire est le terreau d’un nouveau récit qui est l’occasion d’une réhabilitation et d’un recyclage contemporain des aspects encore pertinents des mémoires des sociétés paysannes, vus non plus seulement comme des archaïsmes, mais comme des ressources possibles d’innovation ?

Allez, assez philosophé ! Que les sourds des deux oreilles portent la nouvelle aux autres, que les aveugles dessinent les campagnes qu’ils voient dans leurs rêves, que les fous se mettent à l’œuvre pour y bâtir la nouvelle ère et que les muets chantent des chansons pour soutenir haut nos cœurs.

Dans cette actualité cruciale, la Bretagne Romantique mène toujours jusque mi-février sa grande enquête sur nos habitudes alimentaires que nous sommes contents de promouvoir. Il reste une dizaine de jours pour y participer et il est indispensable que les familles avec enfants prennent aussi le temps de répondre au questionnaire. Pour l’instant il est majoritairement renseigné par des couples jeunes ou retraités. On compte sur vous? Il en va de la pertinence des résultats qui permettront de développer des axes d’actions au service d’un mieux vivre notre ruralité. Merci aussi de partager cette enquête autour de vous.(cliquer sur le lien)

Et pour finir, Je ne résiste pas à recycler cette histoire de madame la tomate qui a propulsé « Lombric fourchu », le héros du potager sur le devant de la scène il y a près de vingt ans: pas pris une ride la chanson!

Le marché ambulant est ouvert… à vos commandes !

Bonne semaine !

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